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Par Gaelle Dejo, Research Assistant – Economic Policy

Dans l’environnement des affaires d’aujourd’hui, il est extrêmement important d’avoir une analyse approfondie et des données solides pour s’assurer que les chefs d’entreprise peuvent prendre des décisions informées et dynamiques qui positionnent leurs entreprises comme des leaders dans leurs secteurs d’activité. En Afrique, et en particulier au Cameroun, l’obtention d’une telle Intelligence Economique est extrêmement difficile. L’Intelligence Economique (IE) est perçue comme un ensemble de disciplines visant la collecte, l’analyse, le traitement et la diffusion sécurisée de l’information en vue d’atteindre des objectifs stratégiques. Ces disciplines sont notamment  la stratégie d’influence, les investigations légales et discrètes, le Risk intelligence,  Crisis intelligence mais aussi la connaissance du marché. L’enjeu de l’intelligence économique c’est la maitrise de l’information au fin d’une décision c’est-à-dire fournir aux décideurs des éléments utiles afin qu’ils puissent prendre une décision responsable.

Le contexte africain se caractérise par un environnement d’affaire à risque, un manque d’information (qui est généralement non disponible et très souvent non fiable, ce qui offre très peu de visibilité au continent) et par des réseaux d’information non conventionnelle (c’est-à-dire qu’on ne trouve pas parfois des informations où on s’attend à la retrouver). Les Etats et les différents acteurs privés ont donc un rôle à jouer dans la définition d’une politique publique d’intelligence économique au service de la promotion des investissements dans chacun des pays d’Afrique. Le présent article donne un aperçu de l’IE dans son ensemble et dans le contexte camerounais, des exemples d’implémentation de l’IE, des obstacles au développement de l’IE au Cameroun et des suggestions de solutions.

L’Intelligence Economique Et Le Contexte Camerounais

A l’heure de la mondialisation qui se caractérise par une compétition féroce entre les différents pays et par une rapidité de prise de décision, il est important pour les dirigeants africains d’user de l’Intelligence Economique pour avoir accès à des informations fiables et permettant de prendre des décisions adéquates. Ceci leur permettrait de se développer rapidement, d’atteindre de nouveaux marchés et ainsi combler le fossé grandissant entre les pays moins avancés et ceux dits développés.

L’Intelligence Economique permet (1) de manière offensive : de cibler, détecter et convertir des opportunités, d’offrir un complément de visibilité aux investisseurs au travers des informations fiables, de contextualiser les informations de manière générale, d’optimiser les investissements et rassurer les investisseurs ; (2) de manière défensive : de sécuriser les opportunités qui ont été identifiées, de prévenir et de gérer les risques et les crises, de piloter les crises, de conduire des investigations et d’assurer une continuité des affaires (ARIS-Intelligence 2013).

Au Cameroun, l’Intelligence Economique est essentiellement basée sur des informations de source humaine. En d’autres mots, la société est sous informatisée et même lorsqu’il ya des données numérisées, elles ne sont pas toujours mises à jour ; par conséquent faut aller à la rencontre de ceux qui détiennent l’information. La prise de conscience de l’importance de l’Intelligence Economique est encore faible dans les mentalités camerounaises et celle-ci est d’avantage portée par les opérateurs privés qui comprennent davantage les réalités de la compétition internationale.

Modèles De Mise En Œuvre De L’IE

  1. Cas du Maroc

Le Maroc est un exemple de l’implémentation de l’intelligence économique. Pour accroitre le développement du pays, les dirigeants se sont focalisés sur la capitalisation de l’information stratégique et l’utilisation de l’influence (l’influence vise à modifier le paradigme de pensée de la cible, à modifier ses fondamentaux, par la raison ou la séduction (Alain Juillet et Bruno Racouchot s.d.) à travers le continent plus précisément dans la zone sub-saharienne. Les stratégies misent en place sont notamment : (1) l’apprentissage : les dirigeants du pays ont eu recours à de nombreux experts européens dans divers secteurs pour former la main d’œuvre locale assurant ainsi un transfert de technologie ; (2) l’implantation de ses entreprises dans les pays sub-sahariens plus précisément dans la partie Ouest. En Cote d’Ivoire, 3 banques marocaines sont présentent sur le territoire et représentent 30% des actifs bancaires du pays soit environ 9 milliards € (Vox Africa, 2016); (3) l’implémentation d’une banque de données nommée la Casablanca Finance City. Une banque d’information stratégique recueillie dans les différents pays potentiellement; (4) la mise sur pied des médias notamment Medi 1, radio créée depuis 2006 avec une large diffusion sur l’Afrique.

Cette stratégie est soutenue par une politique publique d’intelligence économique. Pour mieux l’assoir, chaque année des assises sont organisées dans le pays, orientées par un document stratégique de l’intelligence économique marocaine. Ces assises regroupent l’ensemble des décideurs, acteurs économique et politique de l’Afrique.

  1. Cas du Japon

Entre 1835 et 1890, le Japon est le premier pays à parer sur l’information stratégique qui est au cœur de l’intelligence économique. Après la première guerre mondiale et suite à sa faillite militaire, l’industrie japonaise avait perdu 60% de sa capacité. Se voyant contraint de relancer son économie, le pays va construire le plus important vecteur de la puissance économique à savoir le MITI (Ministry of International Trade and Industry) en appliquant ces méthodes militaires aux renseignements économiques. Ainsi, 1.5% du chiffre d’affaire des entreprises seront investis dans les dépenses d’IE.  Le Japon a su imposer ses marques à l’échelle internationale à travers son industrie automobile qui représente l’un des piliers de son développement avec une production annuelle évaluée à 10 millions de véhicules (Vox Africa 2016). En faisant de l’information et de l’influence le levier de son développement économique et de compétitivité, le Japon est devenu en 4 décennies la 2ème puissance industrielle et économique du monde derrière les Etats Unis. C’est grâce au MITI que l’ensemble de la population japonaise a compris que derrière chaque succès économique se cache la capitalisation de l’information stratégique. Le pays va donc employer des méthodes telles que : l’espionnage industrielle, l’envoi des stagiaires en occidents chargé de récolter des informations. Il faut noter que le modèle japonais à perdu de sa crédibilité. D’ailleurs les années 90 seront pour le pays, la décennie d’une crise financière sans précédent qui touchera profondément la puissance économique japonaise. Les instances étatiques japonaises ont compris la nécessité de dispenser des formations spécialisées en IE. Quoiqu’il en soit le Japon veille à protéger son information stratégique et donc à appliquer l’IE.

Pourquoi L’IE Peine Á Décoller Au Cameroun

  • Conflit entre l’Etat et la diaspora: de milliers d’étudiants camerounais sont formés en Europe, Asie, et Amérique mais très peu retournent au Cameroun après leurs études. Cette situation a pour cause l’incompatibilité entre le retour de la diaspora et les conditions délétères d’insertion professionnelle. L’Etat camerounais n’a pas un dispositif qui permet d’encourager la diaspora à retourner au pays après leurs études afin de trouver un travail décent, mais surtout afin de créer leurs propres entreprises. Comme conséquence, ces pays étrangers retiennent ces intellectuels en leur offrant le nécessaire, c’est l’exemple du Canada, des Etats Unis. Il serait judicieux  pour l’Etat Camerounais de faciliter le retour de la diaspora qui contribue évidemment à l’élargissement de la base de connaissances.
  • Programme universitaire non compatible à l’Intelligence Economique : les programmes éducatifs sont plus orientés vers la théorie que la pratique. Le Cameroun devrait sortir de ce système éducatif traditionnel qui est en déphasage croissant entre l’idéal de transmission du savoir et la réalité du terrain.

Conclusion Et Recommandations

L’IE est un outil de domination et les éléments qui rentrent dans cet outil sont : le savoir, les entreprises et les médias (télévision, radio, internet, etc.). Le travail d’Intelligence Economique consiste à introduire dans la capacité à se projeter, à détecter les risques qui arrivent, identifier les opportunités en vue de développer son économie. L’Etat camerounais devrait se servir davantage de l’IE car elle analyse la manière dont il doit se positionner dans ce monde et les stratégies pour tirer partie de plus d’opportunités en réduisant les contraintes contextuelles. L’IE a permis aux grandes puissances comme la France, le Japon et les Etats Unis d’assoir leur notoriété et de contrôler le monde pendant longtemps. Pour que le Cameroun améliore sa pratique de l’IE, quelques recommandations peuvent être faites :

  • Formation d’une élite d’intelligence économique: il s’agit ici d’une part de former localement la ressource humaine. L’Etat pourrait faire venir des experts afin de former localement ses élites et transmettre ainsi la technologie. D’autre part, si le pays se rend compte qu’il ya des savoirs qu’on n’a pas cette ressource humaine est envoyée vers là où lesdits savoirs peuvent être obtenus, c’est l’exemple de la Chine et l’Inde. Cette élite devrait avoir un regard systémique c’est-à-dire les différents niveaux de la réalité et un regard stratégique c’est-à-dire un regard qui leur permet de définir les démarches qui vont permettre de tirer le meilleur parti de la situation. Toutes les formations doivent être réorientées vers l’influence, la protection et la veille stratégique.
  • Politique suscitant le retour de la diaspora: le savoir est l’un des leviers de l’Intelligence Economique. Pour que la connaissance soit active, il faut l’acquérir. Le gouvernement devrait créer des conditions de retour de ces intellectuels ; ces conditions peuvent être d’ordre entrepreneuriat, salarial, d’environnement de travail, de recherche scientifique … car la diaspora est capable de faciliter le transfert de technologie par la création de coentreprises entre des multinationales et des entreprises locales que ses membres auront créées.
  • Développer l’instrument médiatique : il est important d’avoir une voix qui porte. Chaque grande puissance, aujourd’hui, a son média qui diffuse sa façon de penser. Nous avons par exemple la China Central Television (CCTV) qui est la plus influente en Chine avec plus de 45 chaines en son actif. Son but est d’informer le monde sur la politique chinoise. Aujourd’hui, la CCTV est traduite en plusieurs langues parmi lesquels le français et l’anglais et il est désormais possible d’apprendre le mandarin sur le petit écran. Nous avons également la CNN qui s’impose à l’échelle internationale. L’image des Etats Unis bien mise à l’avant, une gouvernance dite exemplaire et un modèle à suivre pour les Etats, ceci à toujours été le message que nous diffuse la CNN. Il s’agit ici d’aller à la conquête du monde économique en influençant les mentalités, les acteurs du marchés, ou encore les consommateurs. Le Cameroun devrait se doter d’outils nécessaires à cette conquête.

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Gaelle Dejo est Assistante de recherche en politique économique de l’Institut Politique Nkafu, un think-tank camerounais à la Denis & Lenora Foretia foundation. Email: [email protected]

Bibliographie

Alain Juillet et Bruno Racouchot. L’influence, le noble art de l’intelligence économique. https://communicationorganisation.revues.org/3921 (accès le Février 16, 2017).

ARIS-Intelligence. L’Intelligence Economique en Afrique. 27 Décembre 2013. https://www.youtube.com/watch?v=QdGzrPWDdy8 (accès le Février 03, 2017).

Vox Africa. L’Intelligence Economique. 2016. https://www.youtube.com/watch?v=WYeG3SL5ke0&t=4911s (accès le Février 07, 2017).

—. L’Intelligence Economique. 2016. https://www.youtube.com/watch?v=WYeG3SL5ke0&t=4911s (accès le February 07, 2017).

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