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Le Covid-19 et son impact socio-sanitaire au Cameroun : une analyse sociologique d’une tragédie aux conséquences plurielles 


Par  Prof. Christian Bios Sociologue, Université de Yaoundé I (Pdf Version)

L’image qui se dégage de la propagation du Covid-19 est celle d’une tragédie mondiale, avec au centre une crise sanitaire aigue aux conséquences sans précédents. En quelques mois seulement, ce virus est parvenu à décimer des milliers de populations à travers le monde, faisant oublier au passage toutes les autres épidémies effrayantes enregistrées par le passé, à l’exemple des deux grippes aviaires, de la grippe H1N1, du SARS coronavirus, du MERS coronavirus, d’Ebola, de la variole, le Chikungunya ou encore du Zika. Cependant, ces différentes épidémies n’ont pas eu cette particularité de paralyser autant l’économie mondiale, obligeant des centaines de milliers de populations à rester confiner dans leurs domiciles, certaines entreprises à ralentir ou cesser leurs activités, et à donner sens à la crise du contact social comme facteur de la propagation du virus. Si certains épidémiologistes penchent pour un nécessaire relativisme des opinions face à l’épidémie actuelle « dans un monde où l’on observe 56 millions de décès par ans », [1] d’autres analystes estiment par contre que la situation est suffisamment préoccupante au regard de la quasi-impuissante du dispositif de riposte sanitaire à travers le monde. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une arme virale qui rend totalement vulnérable aussi bien les grandes puissances mondiales que les pays moins développés.

Le Cameroun n’est donc pas en marge de cette crise infectieuse aux allures funestes, dans la mesure où depuis le 6 mars 2020, date de la découverte officielle de deux premiers cas, les chiffres ne cessent de grossir et les inquiétudes s’installent quant au devenir de la société. Si des mesures d’urgence sanitaires sont prises en fonction de l’évolution de l’épidémie, les conséquences sont plurielles. Pour mieux comprendre les implications sanitaires et socioéconomiques du Covid-19, il importe de partir de l’état des lieux de la propagation de l’épidémie aussi bien sur le plan international qu’à l’échelle nationale.

I. Du « virus chinois » à la pandémie : une menace sanitaire à propension tragique

La sur-médiatisation de la propagation de cette épidémie à l’échelle planétaire est comparable à une tragédie romanesque, où l’évocation quotidienne du nombre de personnes infectées et des décès enregistrés a conduit à épiloguer sur les origines du mal, les mobiles cachés de sa fabrication et les conséquences plurielles de sa propagation dans le monde globalisé. L’allusion faite au « coronavirus chinois » part de ce que le Covid-19 a fait son apparition à la fin de l’année 2019, à Wuhan en Chine,  et s’est rependue rapidement en Asie, puis dans le reste du monde au premier trimestre de 2020. Plusieurs versions circulent sur les origines de cette épidémie devenue une menace sanitaire mondiale aux conséquences économiques, politiques, sociales et même psychologiques importantes pour l’humanité. Qu’il s’agisse d’une contamination de l’homme par la chauve-souris ou le pangolin, d’une volonté secrète de ralentir la démographie mondiale, particulièrement celle de l’Afrique, ou encore d’un « accident industriel » lié à la manipulation malheureuse des virus dans un laboratoire chinois de Wuhan aux fins trouver un vaccin contre le VIH/SIDA,[2] il n’en demeure pas moins vrai que les Etats du monde sont rentrés dans une « guerre » contre un adversaire invisible, « l’ennemi public numéro un ».[3] Il s’agit d’une épidémie « meurtrière », une véritable « menace sanitaire » mondiale où ne s’en sortiront que les plus aptes, ceux-là qui auront développé une conscience collective stricte en respectant les recommandations institutionnelles et les « gestes barrières » définis par l’Organisation Mondiale de la Santé.

Malgré toute la communication sur les mécanismes de propagation de la maladie, les données sur l’évolution de la pandémie ne cessent d’évoluer et des milliers de personnes continuent de s’infecter à travers le monde, avec pas moins de 1.289.380 cas déclarés positifs au Covid-19 le 06 mars 2020, soit 270. 372 patients guéris pour 70.590 décès.[4] Suivant ce décompte, les Etats Unis se présentent comme le pays le plus touché au monde, avec au compteur pas moins de 337.309 cas confirmés, pour  9.643 décès et 17.528 personnes tirées d’affaire.

Or, lorsque le continent africain enregistrait son premier cas de maladie à coronavirus ou Covid-19 en février 2020, par l’Egypte, l’on n’était loin de s’imaginer que cette infection virale se propagerait aussi rapidement dans ce continent au point de toucher, près de deux mois seulement après, pas moins de 49 pays sur les 54 existants, et 815 décès deux mois après. [5] Les opinions qualifient cette maladie infectieuse émergente de mal du siècle, dans la mesure sa propagation a non seulement pris de cours les épidémiologistes et autres hommes de sciences, mais aussi relayé les autres pathologies toutes aussi sévères, au second plan. La raison se trouve être au niveau de la frayeur suscitée non seulement par sa rapide dissémination, mais aussi par la faiblesse des grandes puissances économiques à faire face à ce fléau. Toute l’actualité mondiale y est focalisée, obligeant les différents Etats à communiquer et à adopter, en fonction des enjeux, des mesures politiques contraignantes, parfois aux conséquences économiques assez sévères, à l’exemple de la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes, du confinement (partiel ou total) des entités territoriales, de la fermeture des écoles, de la systématisation du port du masque ou de l’organisation des tests massifs, etc.

A ce niveau, la menace globale n’a pas donné lieu à une réponse globale et coordonnée, dans la mesure où plusieurs approches spécifiques ont été adoptées par différents Etats, allant de la campagne massive de dépistage comme en Corée du Sud, à une restriction drastique des libertés de mouvement par un confinement total (Chine, France, Espagne ou Italie), en passant par la stratégie dite d’immunisation collective. Au moment où la menace est présentée comme une guerre contre un adversaire tenace, déroutant et effrayant, les discours se multiplient aussi bien sur les causes humaines de sa propagation, les profils des personnes à risques, que sur les conséquences à la fois économiques, sanitaires et psychosociales. Car, la lutte concertée contre la propagation de la maladie va se heurter aux pratiques quotidiennes des populations, fragilisées par un système de santé pauvre sur le double plan qualitatif et quantitatif, une situation socioéconomique précaire et une place importance du secteur informel. Avant d’évoquer les conséquences plurielles, il importe de voir déjà la position de l’Etat camerounais face à cette lutte contre le Covid-19.

II. L’Etat camerounais à l’épreuve du coronavirus

L’évolution presque cauchemardesque des chiffres des personnes infectées à travers le monde, constamment relayée par différentes sources d’informations nationales, a participé à éveiller les consciences individuelles sur le caractère réel de l’épidémie, par le nombre de cas infectés au quotidien, les figures marquantes contaminées au Covid-119 et/ou décédées. En effet, les premières informations véhiculées sur le Covid-19 faisaient de cette épidémie une affaire des « autres », celle des hommes blancs qui avaient perdu l’habitude de côtoyer des épidémies aussi mortelles et au paludisme, tout en pas exposés aux températures élevées. Il a fallu attendre le décès en France du saxophoniste camerounais Manu Dibango, pour que les opinions se ravisent sur l’occidentalité du mal et prennent plus au sérieux cette crise du contact social.

Ainsi, le gouvernement camerounais a adopté, dès le 17 mars 2020, un ensemble de mesures contraignantes pour faire face à cette « pandémie venue d’ailleurs », à l’exemple de la fermeture de toutes les frontières nationales, la fermeture des écoles, l’interdiction des regroupements de plus de cinquante personnes, la mise en quarantaine des immigrants provenant des pays fortement touchés et des cas suspects, etc. En fonction de l’explosion quotidienne des chiffres des contaminés et des critiques formulées en l’encontre de l’Etat sur la gestion de la crise sanitaire, d’autres mesures fortes vont être prises, à l’instar de l’organisation des tests massifs dans les villes fortement touchées, la création d’autres centres de dépistage et de prise en charge. A ces mesures se sont ajoutées d’autres, dont l’homologation d’un protocole thérapeutique et l’obligation du port du masque par toute personne se trouvant dans un espace ouvert au public, ou encore l’ouverture d’un fonds spécial de solidarité pour la riposte nationale au Covid-19. Or, plus d’un mois après la découverte des premiers cas, le Cameroun a dépassé le cap de 1000 personnes testées positives. S’il peut sembler encore précoce d’évaluer les effets sanitaires, socioéconomiques et même psychologique de cette pandémie, l’on peut tout de même évoquer l’allure des conséquences multiples de cette « guerre » mondiale.

III. « Un ennemi invisible » aux conséquences plurielles

Quelques mois seulement après son déclenchement, près de la moitié de population mondiale a été contraint au confinement, sans pour autant stopper la découverte quotidienne de nouveau cas. Les systèmes de santé de tous les pays touché ont été rapidement submergés par le nombre de patients infectés, avec un constat alarmant sur l’insuffisance des équipements de protection pour les professionnels de la santé et le matériel de prise en charge des cas déclarés. Cette épidémie est venue remettre en question les certitudes progressivement construites sur les avancées de la médecine moderne, en Afrique comme ailleurs. Si le ministère camerounais de la santé s’est dit près à faire face au Covid-19, il est à noter que les délais de disponibilité des tests de dépistage des cas suspects ont contribué à rallonger le temps de propagation de la maladie auprès des populations.

En outre, s’il est tôt d’évoquer les conséquences économiques de cette pandémie, l’on peut néanmoins évoquer des effets directs sur la vie post-crise de plusieurs entreprises, et le chômage à venir de plusieurs personnes. Ces effets vont renforcer la précarité dans plusieurs familles et les inégalités sociales. Il ne s’agit pas d’un choc des barbaries, mais d’une simultanéité inévitable des chocs entre l’offre et la demande en situation de vulnérabilité. Certains actifs financiers vont tomber suite au dépôt de bilan de certaines entreprises, dans des proportions plus grandes que celles des crises précédentes.[6] Des économistes redoutent donc une « catastrophe » beaucoup plus socioéconomique que sanitaire, dans le monde en général et surtout dans les économies fragiles comme le Cameroun. La rente pétrolière n’est plus une garantie pour les pays qui ont bâti leur développement sur cette matière première, avec un prix du baril qui est en deçà des 20 dollars. L’économie du tourisme subit une paralysie à nul autre pareil, avec un risque de replonger des millions de personnes de niveau intermédiaire vers la pauvreté.

Si le Covid-19 est une crise sanitaire, elle vient davantage raviver les crises anciennes liées aux inégalités sociales, à la fracture sociale entre les possédants et les démunis, tout en mettant en évidence la dépendance technologique du Cameroun vis-à-vis de l’extérieur. Les approvisionnements en équipements de riposte contre la menace et ceux qui sont nécessaires à la prise en charge des patients, ainsi que certains réactifs essentiels à la fabrication des médicaments, viennent de l’extérieur, principalement de la Chine. Néanmoins, cette crise sanitaire aura permis de mettre en évidence la richesse et la diversité des savoirs locaux, en termes d’adaptation au contexte et de réinvention des stratégies de riposte contre ce mal « importé ». Elle aura également permis le réveil des pulsions nationalistes et africanistes, tant il est vrai que la circulation des informations facilite la sensibilisation des « frères » sur la nécessité d’une réfutation de l’infantilisation atavique de l’Afrique. Cette dernière n’est pas la « misère du monde » au point de développer des discours alarmistes, soutenus par l’organisation Mondiale de la Santé, alors même que les statistiques révèlent que les pays les plus touchés sont ceux qui ont un système de santé développés. Les avis se multiplient, les témoignages prennent le relai de la sensibilisation avec des propos qui tendent aussi bien à attirer l’attention sur le caractère universel de la maladie, mais aussi sur le génie africain qui trouve dans la nature, des réponses thérapeutiques appropriées contre cette pathologie.

            Au demeurant, le Covid-19 est loin d’être l’expression de forces antagonistes visibles comme le donne à voir les affrontements armés dans les régions « anglophones » au Cameroun, ou encore la manifestation idéologique du choc des civilisations[7] qui donne sens à la « peur » d’être puni par les maîtres occidentaux du monde.[8] Cette menace sanitaire globale revêt néanmoins une dimension politique, en ravivant sur le plan international des tensions entre « l’arrogance américaine et l’orgueil chinois »,[9] deux puissances mondiales du 21ème siècle. Dès le début de la pandémie, le président Donald Trump a dénoncé le « virus chinois » et lors d’une conférence de presse le 19 mars 2020, il affirmait que « le monde est en train de payer le prix fort pour ce que [les chinois] ont fait ». Cette tendance à désigner des boucs émissaires a été observée en Chine (la stigmatisation des noirs), mais aussi au Cameroun où les « étrangers », les « voyageurs » et la « diaspora » ont été considérés comme les responsables de l’entrée de la maladie dans le sol camerounais. Il s’en est suivi une stigmatisation de cette catégorie d’acteurs, avec une tendance à les « dénoncer » dans les médias et les réseaux sociaux comme étant les responsables du malheur collectif, des personnes dont l’incivisme aurait contribué à alourdir les cas de contaminés au Covid-19. La conséquence immédiate a été la peur irraisonnée de l’« autre » et la rupture tragique des fusions traditionnelles qu’imposent les mesures de distanciation sociale recommandées, et la remise en question des contacts humains.

En somme, les discours pluriels développés aussi bien sur la maladie, en contexte de vulnérabilité sociale, que sur la fragilité du système médical camerounais, conduisent à structurer des comportements pluriels, qui ne sont pas nécessairement ceux d’un déni de la maladie, mais d’une réaction contextualisée, s’appuyant aussi bien sur la masse d’informations reçues, sur la contrainte de la survie que sur le richesse de la pharmacopée traditionnelle. Or, le coronavirus chinois a ceci de particulier que sa propagation est impressionnante, tant il est vrai qu’il a déjà fait des milliers de morts à travers le monde. Les Etats Unis, l’Espagne, l’Italie, la Chine ou encore la France, pour ne citer que ces pays sont tout autant touchés que l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Egypte, le Maroc ou le Cameroun. La communication institutionnelle insiste sur le comportement des populations à la fois comme vecteur de la propagation du Covid-19 et facteur efficace de lutte contre la contamination massive.

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