By Steve TAMETONG, Ph.D & Francis TAZOACHA, Ph.D (Download the Pdf Version)
Introduction
La partie anglophone du Cameroun, constituée du Nord-ouest et du Sud-ouest, est en proie à un conflit guerrier sanglant depuis maintenant quatre années (4) années. En effet, ce qui est apparu, à l’origine sous les auspices d’une revendication corporatiste d’avocats et d’enseignants, s’est rapidement muté, nonobstant des réponses gouvernementales aux diverses revendications, en crise anglophone, éveillant de manière radicale les velléités sécessionnistes enfouies. L’affrontement met aux prises les forces de l’armée régulière de l’État animées par le désir de restaurer l’ordre et de préserver l’intégrité du territoire, les factions armées indépendantistes réclamant la création d’un État dénommé « Ambazonie » et les nouveaux groupes armés qui excellent dans le grand banditisme, le rapt et les demandes de rançons. Pris entre deux feux, les populations paient le lourd tribut. Diverses sources font état de près de 3000 morts, 500.000 refugiés et de nombreux déplacés internes. Sur le front de guerre, la violence sévit avec une brutalité déshumanisante au détriment de la dignité humaine. Les scènes de décapitation sont filmées en direct, puis disséminées dans les réseaux sociaux. Au regard de ce qui précède, il est clair que la toile du vivre-ensemble et les jalons de l’unité nationale sont profondément fissurés. Reconstituer la fresque du Cameroun « un et indivisible », est une véritable urgence. Le dialogue entre les parties belligérantes semble être la voie indiquée aussi bien par les partenaires internationaux du Cameroun que par les voix autorisées à l’intérieur du pays.
Le Grand Dialogue National (GDN): entre espoir et désillusion
En dépit des sirènes négationnistes de la crise anglophone et l’ardeur des défenseurs de l’option militaire pour faire taire les velléités sécessionnistes dans la partie anglophone, le Président de la République a convoqué les assises du Grand Dialogue National (GDN) du 30 septembre au 04 octobre 2019 en vue de résoudre le problème anglophone. Cette grand-messe se voulait être un moment de « catharsis » et de réconciliation fraternelle, après l’échec de nombreux appels au dépôt des armes par les sécessionnistes lancés par le Chef de l’État. À l’issue de ces assises, plusieurs recommandations ont été adoptées avec la promesse de leur implémentation progressive en fonction de l’opportunité et des moyens dont disposerait l’État. De la libération de certains prisonniers de la crise, à la convocation récente du corps électoral pour les régionales, en passant par l’adoption du nouveau Code général de la décentralisation, le statut spécial des zones anglophones avec la restauration de la house of chiefs, la création du comité de désarmement, démobilisation et réinsertion, de la commission pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, la mise en place du comité de suivi des résolutions du GDN, le programme présidentiel de reconstruction et de développement des régions du Nord Ouest et du Sud-Ouest ; toutes ces mesures, en dépit de leur pertinence, peinent à restaurer la sérénité tant espérée dans les zones en crise. L’espoir suscité par le GDN et la mise en œuvre de certaines recommandations tend aujourd’hui à s’émousser dans la désillusion de la guerre fratricide. Un an après le GDN, le crépitement des armes se fait de plus en plus violent. L’ensauvagement de la situation par les atteintes horribles à la dignité humaine interroge. L’appel au « cessez le feu mondial » du 23 mars 2020 du Secrétaire général des Nations-Unies en vue de constituer un front commun contre la pandémie au Coronavirus semble ne pas avoir trouvé un écho particulier dans la zone en conflit. L’enlisement de la guerre oblige à un questionnement sincère sur l’apport du GDN. S’il était appelé de tous les vœux, le GDN a-t-il tenu la promesse des fleurs ? En dépit des consultations préalables menées par le Premier Ministre, de la caution morale des hommes d’églises et l’appel à la participation de toutes les factions sécessionnistes, il faut reconnaître que le GDN n’a pas réussi le pari de rassembler autour d’une même table tous les acteurs du conflit en raison du climat de confiance délétère entre eux. Ensuite, la détermination à l’avance des thèmes à discuter et l’éviction de la délicate question de la « forme de l’État » ont entaché la tenue d’un débat ouvert et sincère. Enfin, le caractère non contraignant des recommandations, mais surtout l’absence de détermination de la forme et du contenu du « statut spécial » des zones en crise ont altéré la vocation réparatrice et réconciliatrice portée par le GDN.
L’urgence d’un « vrai » dialogue : l’irréductible voie de sortie
Si l’ambition semble portée aujourd’hui vers la reconstruction et le développement de la zone anglophone, il faut bien se résoudre à admettre qu’un vrai dialogue inclusif s’impose entre les parties. Celui-ci ne saurait être décrit comme un aveu d’échec du GDN, mais comme une complémentarité nécessaire. L’aboutissement de ce dialogue est tributaire d’un ensemble de conditions :
- L’urgence d’un accord de cessez le feu négocié entre les parties : il n’est pas judicieux d’envisager la reconstruction de la zone anglophone sous le fracas des armes et la détonation permanente des engins explosifs. À ce niveau, la diplomatie officielle et officieuse doit pouvoir se concilier pour l’atteinte d’un accord de cessez le feu susceptible d’établir un climat de confiance mutuel entre les acteurs. Cette confiance acquise est un atout majeur pour la tenue d’un dialogue endogène, franc et sincère, privilégiant l’intérêt du Cameroun loin de toute intervention étrangère.
- L’identification des acteurs : il est important que l’État soit représenté dans ce dialogue par celui-ci qui en préside aux destinées : le chef de l’État, garant de la vie et de l’intégrité du territoire. Sa présence serait un gage de bonne foi et de sincérité dans la tenue du dialogue. Coté des insurgés, l’étalement du conflit a fait émerger des nouveaux acteurs à telle enseigne qu’il est difficile à ce jour d’identifier les principaux porte-parole. Néanmoins, il est fort à penser que la libération de certains leaders sécessionnistes incarcérés peut être regardée comme une mesure de décompression nécessaire susceptible de rallier les autres acteurs dissidents.
- Le consensus autour des sujets à débattre : au-delà de la mal gouvernance pointée au cœur du conflit, l’on ne peut plus longuement s’obstiner à méconnaître les racines historiques de la crise anglophone et sa nature essentiellement politique. Le dialogue doit être l’occasion de revisiter courageusement l’histoire du pays afin d’y retrouver les ferments d’un contrat social renouvelé. La question relative à la forme de l’État ne doit donc pas être écartée du dialogue.
- L’application des résolutions : c’est le point d’orgue du dialogue. En effet, l’implémentation des résolutions adoptées par les acteurs, selon un agenda déterminé et précis, est la condition ultime pour parvenir au silence des armes et le retour à la paix.
Conclusion
Le dialogue n’est pas un aveu de faiblesse dans la résolution des conflits. Elle est une bouée vitale. L’histoire des conflits dans le monde nous renseigne sur l’efficacité du dialogue dans l’apaisement et la réconciliation. Traversé par une crise interne qui décime aussi bien sa ressource humaine que son tissu économique, le Cameroun ne peut durablement faire l’économie d’un dialogue sincère, inclusif et vertueux dans la résolution de la crise anglophone. Rejeter cette option, c’est s’obstiner dans la guerre fratricide et entretenir les germes d’une crise pérenne préjudiciable pour les générations futures.
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