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Par Ulrich D’Pola Kamdem

L’endettement public au Cameroun soulève beaucoup de questions et suscite un vrai débat. D’une part, dans un communiqué rendu public le 9 Juillet 2014, le Fonds Monétaire International (FMI) rappelait que « le fardeau de la dette du Cameroun reste faible mais se développe de nouveau à un rythme rapide ». De même, un rapport du FMI datant du 16 Juin 2017montre quele risque de surendettement extérieur du Cameroun reste très élevé. D’autre part, les autorités camerounaises assurent contrôler la situation à travers le suivi et le respect de certains indicateurs internationaux en matière de dette publique. Elles se défendent aussi en affirmant que l’endettement actuel sert à financer les projets qui feront du Cameroun un pays émergent à l’horizon 2035.

Dès lors, le rythme d’endettement actuel ne compromet-il pas le bien-être des générations futures ?

Pour mener à bien notre analyse, il convient de noter que la dette publique n’est pas le déficit public. En effet,la dette publique désigne le financement des dépenses publiques par l’emprunt plutôt que par l’impôt.En d’autres termes, au lieu d’augmenter les impôts pour financer les dépenses publiques[1], l’Etat emprunte plutôt l’argent sur les marchés financiers ou auprès des bailleurs de fonds. Quant à lui, le déficit public renvoie au déficit budgétaire. Dit autrement, on a un déficit budgétaire quand, au cours d’une année, les dépenses de l’Etat sont supérieures aux recettes collectées.

Bien que la dette publique soit composée généralement de la dette interne et de la dette externe, il est cependant plus intéressant d’analyser la dette externe car cette dernière permet d’apprécier la qualité des politiques budgétaires au sein d’un pays.

[1]Les dépenses publiques correspondent à l’ensemble des dépenses réalisées par les administrations publiques. Il s’agit de : la construction des routes, la construction des écoles, l’achat des fournitures pour les administrations, la rémunération des fonctionnaires, etc.

  1. EVOLUTION DE L’ENDETTEMENT PUBLIC AU CAMEROUN

La dette extérieure du Cameroun a connu une hausse à partir des années 70 jusqu’en 1993. En effet, cette période est marquée par les recours aux déficits budgétaires et l’emprunt pour financer le développement économique afin de rattraper les nouveaux pays industrialisés. Cette période a aussi été fortement marquée par la crise économique des années 80 et les plans d’ajustement structurel.

La période allant de 1992 à 1999 a conduit à une baisse de la dette extérieure du Cameroun. Cette période a connu la dévaluation du Franc CFA intervenue le 12 Juin 1994 à Dakar au Sénégal. À partir des années 2000 jusqu’en 2007, la hausse des exportations, l’investissement dans les biens et l’affluence de capitaux ont permis au gouvernement de réduire considérablement le poids de la dette extérieure dans l’économie. Ceci s’est traduit par une baisse du niveau de la dette extérieure et a conduit à une période de désendettement.

Par contre, la crise financière de 2008 a marqué la reprise d’un nouveau cycle d’endettement aux caractéristiques similaires à celui des années 80. Cette situation a été provoquée par la chute du prix des produits d’exportation (pétrole, bois, cacao, café, etc.), le resserrement des conditions d’emprunt au plan international et surtout la rareté des capitaux.

2. UNE DETTE PUBLIQUE CONTROLEE MAIS IMPRODUCTIVE

Le taux d’endettement du Cameroun s’élevait à 36% du PIB selon les estimations de la Banque Mondiale. Il atteindra 38% du PIB en 2019 selon les estimations du FMI. Même si ce taux est loin du seuil de 70% du PIB tel que fixé par les Traités de la  CEMAC, et qu’il laisse entrevoir des marges de manœuvres pour de futurs endettements, il demeure néanmoins problématique. En effet, plus on se rapproche du seuil de 70% du PIB, davantage l’endettement devient une sérieuse menace voire un suicide économique.

Depuis 2006, le Cameroun réussit à assurer son service de la dette sans grandes difficultés. C’est, en somme, l’argument avancé par les autorités locales. En effet, selon le directeur de la Caisse Autonome d’Amortissement : « De mars 2015 à mars 2016, le Cameroun a payé des intérêts sur sa dette publique pour 81 milliards FCFA ». Pour le seul premier trimestre 2016, ces intérêts ont avoisiné 29 milliards de FCFA, en hausse de 8 milliards FCFA par rapport à la même période en 2015.

Cependant, on constate que les intérêts sur la dette constituent un véritable danger pour les générations futures du moment où les montants payés sont assez colossaux et significatifs. Sur le long terme, l’Etat serait plus concentré sur le service de sa dette même s’il doit négliger le financement des secteurs clés comme l’éducation et la santé.

Plus grave, l’Etat s’endette actuellement pour financer des investissements improductifs ou de type « éléphants blancs » selon les mots de Christian PENDA EKOKA (Ex-Conseiller Economique à la Présidence de la République du Cameroun).  Par exemple, une dette de 75 milliards de CFA a été contractée pour offrir aux étudiants camerounais 500000 ordinateurs « Made In China ». Or, la création d’une usine locale d’assemblage d’ordinateurs aurait pu générer des emplois, contribuer à lutter contre le chômage des jeunes et surtout promouvoir le « Made In Cameroon ».

Davantage, une dette a été contractée pour financer les stades qui accueilleront la Coupe d’Afrique des Nations en 2019. Cependant, les camerounais ont été surpris de voir le pays importer des préfabriqués pour la construction de ces stades. Pourtant, des sociétés et des cimenteries locales pouvaient faire ce travail. Ceci aurait sans doute permis de créer plus d’emplois, d’éviter au pays une sortie excessive des devises et surtout de valoriser le savoir-faire local.

En conclusion, les autorités camerounaises doivent urgemment revenir à l’orthodoxie relative à l’endettement. En effet, on ne s’endette que si et seulement si les retours sur investissement peuvent permettre de rembourser le capital emprunté ainsi que le paiement des intérêts y relatifs.

Par conséquent, les autorités doivent s’assurer de la rentabilité de chaque investissement ou projet avant d’y injecter des fonds empruntés. Pour ce faire, une classification préalable des projets suivant les critères de rentabilité et de valeur ajoutée permettrait de supprimer des projets improductifs et d’avoir ainsi une allocation efficiente des ressources.

De même, en utilisant majoritairement des entreprises nationales et locales dans la réalisation des projets financés grâce aux emprunts, le gouvernement pourrait indirectement mettre fin à l’évasion fiscale, à la fuite des capitaux, aux phénomènes de rétro-commissions, de surfacturation et surtout de détournements des fonds. On pourrait alors assister à la naissance d’un endettement vertueux, efficace et soucieux du bien-être des générations futures.

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Ulrich Kamdem, Economic Policy Analyst

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