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By Dr Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA  (PDF Version)

Introduction

L e 10 septembre 2019, le Président de la république du Cameroun a adressé un message à la Nation dans lequel il annonçait la tenue d’un Grand Dialogue National pour résoudre la crise dans le Nord-ouest et le Sud-ouest, et au-delà, dans l’ensemble du pays. Depuis trois ans, cette crise a causé la mort de 1850 personnes selon International Crisis Group, la fermeture de 4400 écoles dans le Nord-ouest et le Sud-ouest, la perte de 269 milliards CFA pour 6434 emplois selon le Groupement Interpatronal du Cameroun (GICAM), l’engagement des centaines de milliards de dépenses militaires supportées par le pauvre contribuable camerounais, etc. Ce sont là pour l’essentiel des chiffres de l’année 2018 qui renseignent à suffisance sur la gravité de la crise. Une semaine plus tôt, le Premier ministre avait reconnu par Décret N°2019/3179/PM du 02 septembre 2019 le statut de zone économiquement sinistrée à ces régions. Au regard de toutes ces observations et des résultats mitigés des efforts consentis à ce jour, il était temps d’organiser ce Dialogue et entendons y prendre part activement. C’est dans cet esprit que cette proposition est faite comme une contribution pour la paix au Cameroun.

La question ne doit plus être de savoir qui a commencé, qui a tort ou qui a raison. Elle doit être de savoir comment mettre fin à la crise. Et dans ce comment, il ne faut pas agir à moitié ; il faut aller jusqu’au bout du processus c’est-à-dire jusqu’à la réconciliation.

Il ne doit pas s’agir d’un événement qui se mesure uniquement sur la qualité de l’organisation (par ailleurs importante) mais, d’un événement qui débouche sur le déclenchement du processus de réconciliation en vue de panser les plaies ouvertes par certains aspects conflictuels de la politique de la Nation.

Pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation

L’occasion du dialogue doit permettre aux différentes parties de se dire leurs vérités et de déboucher sur la réconciliation. Nous en parlons en 6 points :

1/ La réconciliation découle de la résolution de conflit qui consiste à choisir une solution à un affrontement et à assurer sa mise en œuvre.

Le conflit est la rupture d’un contrat ou d’un équilibre social. La résolution du conflit suppose donc le retour à l’ordre social perdu ou la construction d’un nouvel ordre social consensuel. Pour rétablir l’équilibre social au Cameroun dans le cadre de la crise anglophone, les parties au Dialogue devraient de façon CONSENSUELLE soit retourner au fédéralisme (ordre social perdu) soit discuter d’une nouvelle forme de l’Etat. Il a été observé que l’existence d’une volonté d’imposer depuis la modification constitution du 18 janvier 1996 d’un nouvel ordre social non-consensuel (décentralisation) n’a pas été propice à la réconciliation et à la promotion du vivre-ensemble. Il faudrait en prendre acte. La question de la réconciliation est donc aussi une question d’inclusion de la position des minorités. Il convient d’évaluer les forces en présence et les conditions de l’équilibre social sans prétention hégémonique ou d’exclusion car, la résolution d’un conflit ne saurait être envisagée en dehors du conflit lui-même : sa nature, ses causes, les personnes qui le vivent, le contexte dans lequel il se passe, etc.

Suggestions : Pour s’entendre sur la question de la forme de l’Etat, il est important de relayer au second plan la question de sa dénomination et de traiter du contenu. Que l’enfant s’appelle Jean ou John n’est pas le plus important. Le plus important est que l’enfant soit né. Il faudrait prioritairement discuter des différents niveaux administratifs (communal, régional, national) et des contours du pouvoir que l’on transfère à chaque niveau. La meilleure clé de répartition des pouvoirs dans les différents niveaux administratifs est le respect du principe de subsidiarité. Il s’agit d’accepter que tout ce qui peut être traité à la base soit traité à la base et que l’on ne revoie au niveau supérieur que ce qui ne pouvait pas être traité au niveau inférieur. Cela permettrait d’atteindre les objectifs de pertinence, d’efficacité, d’efficience et  d’impact de l’action publique sur les populations locales. Par exemple, il est clair que la diplomatie, l’armée, etc., ne peuvent pas être traitées à la base. Il convient donc pour le cas du Cameroun de créer un CONSENSUS sur la nature du pouvoir que l’on laisse au niveau communal ou au niveau régional avant de décider du nom que l’on donne à la forme de l’Etat. Au niveau de la gestion des ressources naturelles, il faudrait s’entendre sur la clé de répartition des recettes ou mieux, le pourcentage à laisser au niveau local.En Suisse, le fédéralisme d’exécution en vigueur s’appelle « confédération » (contre toute attente d’ordre étymologique) et cela n’a aucune influence sur la nature décentralisée du pays. Il faudrait relayer au second plan le débat sémantique et résoudre prioritairement la question du système politique.

2/ La réconciliation suppose l’acceptation de la négociation et des compromis.

Toutes les parties doivent se placer dans la prédisposition d’accepter des compromis. C’est le principe de concordance qui impose aux participants de déboucher sur une solution négociée. Un pacte du Dialogue pourrait être initié à cet effet pour définir tout au moins le mode de prise de décision et/ou des résolutions. Trois approches de négociation sont courantes : l’approche distributive (ce que l’on retire à l’un, on le donne à l’autre), l’approche intégrative (l’on intègre l’autre) et l’approche contributive (l’on met l’un à côté de l’autre). En règle générale, les accords négociés ne doivent pas être essentiellement distributifs ou contributifs (équilibre des postes politico-administratifs par exemple) ; ils doivent aussi et surtout être intégratifs (valorisation de l’autre). Jusqu’ici, soit l’on excluait une partie ou l’on demandait aux différentes parties de travailler l’une aux côtés de l’autre sans se réconcilier ou sans regarder dans la même direction. Le dialogue ne sera pas constructif si des avancées significatives ne sont pas observées sur les questions de bilinguisme, des sous-systèmes et de pouvoir.

Si une solution définitive semble avoir été déjà trouvée sur l’existence de deux sous-systèmes au Cameroun, la question de la gestion du bilinguisme est loin d’être satisfaisante. L’on doit négocier le passage de la situation de diglossie (cohabitation) que nous vivons aujourd’hui à une situation réelle de bilinguisme intégral. En effet, ce sont les Anglophones qui font le plus souvent l’effort de parler le français pour s’intégrer. Les Francophones et parmi eux, ceux qui dirigent le pays depuis une quarantaine d’années, ne se trouvent pas obligés de parler l’anglais pour s’intégrer ou pour obtenir une ascension sociale. Le bilinguisme intégral doit être posé comme une condition sine qua non pour la promotion sociale au Cameroun notamment dans le cadre administratif et politique. En l’état, l’on vit une situation de diglossie c’est-à-dire un état dans lequel se trouvent deux communautés linguistiques coexistant sur un territoire (Cameroun) et ayant, pour des motifs historiques et politiques, des statuts et des fonctions sociales distinctes (malgré l’égalité constitutionnelle), l’une étant représentée comme supérieure et l’autre inférieure. L’anglais devra cesser d’être une langue officielle inférieure pour combler le besoin d’estime des Anglophones.

Au sujet de la négociation sur le partage du pouvoir suprême, les Anglophones voudraient, même de façon symbolique, qu’un des leurs accède à la magistrature suprême au regard de l’histoire politique du pays (Cameroun = association de deux Etats fédérés). Jusqu’en 2019, le pouvoir n’est resté que dans un Etat (Ancienne République du Cameroun ou Cameroun orientale). Cela est considéré comme étant une injustice ou une marginalisation dans la mesure où dans cette association, les Anglophones (Cameroun occidental) n’ont joué que les seconds rôles. L’équation à résoudre est donc celle de combler le besoin d’estime des Anglophones. Ils demandent souvent explicitement si les « Anglophones sont faits pour être toujours derrière ». Un compromis serait d’inciter les différents partis politiques au Dialogue à présenter des candidats anglophones aux prochaines élections présidentielles afin que le prochain Président de la République soit anglophone. L’on a déjà fait ce genre de compromis pour les questions de genre par exemple et l’on peut l’envisager pour le cas de la crise politique qui secoue le pays. Le Cameroun étant une jeune Nation, il pourrait être difficile d’échapper à la logique des Tours au pouvoir. Dans son message du 10 septembre 2019, le Président Paul Biya a lui-même présenté l’équilibre régional comme étant une contrainte de jeune Nation. Il existe donc là un terrain de compromis sur cette question.

Aussi, l’on peut discuter de la nécessité de ne plus faire de Yaoundé le seul centre d’intérêt du pays. Par exemple, une institution comme le parlement pourrait être délocalisé à Limbé sans que cela ne soit coûteux à la Nation. Au contraire, cela obligerait les autres Camerounais de devoir se rendre en zone anglophone et de devoir bricoler eux-aussi des mots en anglais pour obtenir un service. En l’état, l’on peut dire que la logique hégémonique n’est pas propice pour la réconciliation. Elle est considérée comme étant un mécanisme d’annexion ou pire, de francophonisation, ce qui est en décalage avec les exigences actuelles de notre monde de liberté.

3/ La réconciliation dont il est question suppose l’instauration de la libre circulation comme règle sociale.

Au Cameroun, l’instrumentalisation de l’autochtonie a conduit à la frustration et à la radicalisation de certains citoyens dits « allogènes » dans les capitales politique (Yaoundé), économique (Douala), régionales voir même départementales. Il faut saisir l’occasion de ce Dialogue pour résoudre ce problème identitaire en redéfinissant le statut de citoyen camerounais en vue de lui permettre de se sentir partout chez lui. En effet, les droits politiques, économiques, sociaux et culturels de chaque citoyen devraient être garantis de façon équitable partout où il se trouve sur le territoire national. Sur le plan politique, il faut de nos jours être autochtone pour occuper certains postes. Sur le plan économique, le droit de propriété des allogènes est constamment remis en cause de nos jours. Sur le plan social, il existe des disparités entre les différentes régions et l’ascension sociale n’est pas toujours compétitive, etc. Il est convenable que le Grand Dialogue National permette de jeter les bases d’une nouvelle société plus juste aux yeux de la majorité, plus libre et plus compétitive. Pour ce faire, la capacité de persuasion des adversaires politiques et/ou des citoyens doit être présentée comme étant le seul mécanisme politique conférant la légitimité. Cela garantirait l’ouverture du jeu politique et le rejet de la domination (par la force physique ou militaire) ou la soumission (par des mécanismes de clientélisme) comme pratiques politiques courantes ou outils de résolution des conflits.

4/ La réconciliation suppose la recherche d’une solution basée sur la Mémoire et la Vérité.

Au Cameroun, les Commissions et Comités créés se sont appuyé beaucoup plus sur les positions du gouvernement ou des « plus forts [va-t-en-guerre]» dans l’armée et le parti au pouvoir (RDPC). Il faut absolument travailler avec les positions des « Résistants » parce que ce sont ces derniers qui passent à l’offensive malgré leur position de faiblesse face à l’armée républicaine. Réconcilier les Camerounais, c’est organiser une espèce de Conférence de Foumban 2 pour déconstruire les premières assises de 1961 qui avaient débouché sur la distribution des cartes justifiant la situation conflictuelle actuelle du pays. Il faudrait organiser un événement majeur susceptible d’être la nouvelle référence historique en lieu et place de cette conférence des  16-22 juillet 1961 ou du référendum du 20 mai 1972. Il faudrait créer l’unanimité autour de la fondation du Cameroun.Il faudrait remplacer dans l’imaginaire politique ces dates par une autre date plus légitime. Cette nouvelle date pourrait même devenir le nouveau jour de la célébration de la fête nationale du Cameroun. Il faut un grand symbole de la refondation du pays. En l’état, le débat politique du pays est tourné vers le passé. Un passé tumultueux et conflictuel. Un passé révoltant (de génération en génération) parce que construit sur le mensonge, la fourberie et l’injustice. Il faut lui donner la chance d’être tourné vers le futur. Un futur plus radieux et plein d’espoir.

5/ Pour cela, il faut les Hommes et des institutions de réconciliation.

Il s’agit des personnalités morales qui se mettent le plus souvent au-dessus des clivages et qui peuvent exercer une certaine influence sur les belligérants. On peut les recruter parmi les Doyen(ne)s de la scène politique et de la société civile qui connaissent les dossiers de par leurs fonctions antérieures ou leurs compétences actuelles, et à qui les événements de la vie ont appris la sagesse. Il s’agit des personnes qui connaissent mieux les acteurs, les intérêts en présence, les secrets d’Etat et qui peuvent regarder chaque acteur dans les yeux et lui dire ses vérités. Il s’agit enfin des personnes qui connaissent le contexte dans lequel tous les problèmes se sont posés et qui savent comment faire des compensations ou organiser des compromis. Certaines de ces personnes sont actuellement en prison ou en exil ; elles sont devenues des personnalités morales parce qu’exerçant une certaine influence sur l’imaginaire politique d’une partie des citoyens ; il faudrait, le moment venu, les libérer ou les amnistier afin qu’elles jouent pleinement leur rôle. Le Dialogue ne pourra se tenir en une semaine. Il devra avoir une institution et un mandat court (de 18-24 mois) pour permettre à ces personnes morales de travail pour ramener la sérénité.

6/ Le Cameroun est un pays très croyant et il faudrait en prendre acte dans la démarche de la réconciliation.

Par exemple, la réconciliation renvoie pour les Chrétiens (65-70% de la population) au Sacrement de pénitence et de réconciliation qui est l’un des sept sacrements ayant pour objectif que Dieu pardonne les péchés au pénitent. Le Président de la République qui a rappelé son pouvoir de grâce doit exercer son pouvoir terrestre de pardonner dans le sens de Dieu (Mc 2, 7) afin de combler le besoin de croyance de ses populations, c’est-à-dire dans le sens de la délivrance et non du clientélisme politique ou de la soumission des adversaires politiques. Il est clair que le Président est en désaccord avec une partie de sa population, ce qui est normal en démocratie. Le pouvoir de grâce ne doit pas s’attaquer aux sensibilités politiques des uns et des autres. Il doit s’exercer dans le respect de la diversité et de l’intégrité morale des adversaires politiques.

Le Cameroun est un pays croyant à 96,8%. Il faudrait tenir compte de la réconciliation au sens religieux qui suppose l’examen de conscience, le repentir, la confession et la pénitence. Au sujet du sacrement de réconciliation des Chrétiens par exemple, Dieu dit dans Mathieu 5, 24 : « Va d’abord te réconcilier avec ton frère ». Cela veut dire que l’on ne peut pas organiser le Dialogue et la réconciliation nationale sans reconnaître sa part de responsabilité.Les citoyens ont soif d’un besoin de transparence qu’il faut combler ; ils ne se sont pas radicalisés tous seuls. Chaque partie devrait prendre conscience et reconnaître sa part de responsabilité (repentance, confession) pour favoriser le déclenchement du processus de réconciliation dans la sérénité.

On ne pourra pas aussi parler de la réconciliation nationale au Cameroun dans l’ignorance de la tradition africaine dans laquelle le fait de tuer est une souillure devant être « lavée [au village]».Le sang humain versé est une malédiction en Afrique subsaharienne où l’on croit que les morts ne sont pas morts. Monseigneur Dieudonné Watio écrivait dans sa thèse de doctorat intitulée « Le culte des ancêtres chez les Ngyemba [peuple du Grassfield comme une bonne partie des Anglophones]» : « Aujourd’hui encore, les ancêtres exercent sur les africains, y compris des chrétiens, une influence indéniable. Ils habitent le psychisme des vivants, peuplent leur culture et la structure sociale dont ils sont les fondements et les garants ». Ainsi au Cameroun, il faudrait organiser un deuil national pour permettre aux vivants de maintenir le lien avec leurs morts afin qu’ils acceptent la nouvelle réalité de leur vie terrestre sans eux. Il est communément admis que celles et ceux qui ont perdu leurs proches doivent « faire le deuil » pour que leur colère retombe. Il faudrait créer un cadre propice à ce recueillement.

En conclusion, l’organisation du Grand Dialogue National est une bonne nouvelle pour la recherche de la paix dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Toutefois, la forme du dialogue (bien qu’importante) ne doit pas dominer sur le fond. Le Dialogue ne doit pas seulement être inclusif ; il doit surtout être constructif. Une attention particulière doit être accordée à l’impact d’un tel dialogue et aux conditions à remplir pour que le dialogue débouche sur la réconciliation nationale.

Louis-Marie KAKDEU is the Formal Director – Nkafu Fellows and a Policy Fellow in Economics affairs at the Nkafu Policy Institute of the Denis and Lenora Foretia Foundation. He is a lecturer inIvory Coast Cameroon, Senegal and Romania. He mainly teaches business intelligence, public policies management and evaluation, intercultural management and communication, development-related messages diffusion.