Par Dr Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA (Pdf Version)
Le monde entier est frappé par la pandémie du COVID-19. Les frontières sont fermées et les populations sont appelées à rester confinées. Cette situation est partie pour durer et l’on s’interroge déjà sur le stock alimentaire nécessaire pour surmonter la crise. En effet, l’alimentation jouera un triple rôle dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 : D’abord, un patient devra bien s’alimenter pour s’attendre à bien réagir aux médicaments. Ensuite, une alimentation équilibrée pourrait contribuer à renforcer le système immunitaire du malade. Enfin, c’est en allant chercher de quoi manger que les populations prennent des risques d’infection ou de contamination. Cela veut dire que si la nourriture se fait de plus en plus rare, les populations sortiront de plus en plus et elles iront de plus en plus loin pour atteindre leur objectif alimentaire. Dans le cadre de cet article, nous voulons évaluer la situation alimentaire au Cameroun et faire des recommandations pertinentes pour combler les manquements.
Cameroun : une économie dépendante de l’extérieur
En prenant une année de référence comme 2018, on constate que le déficit de la balance commerciale se situait autour de 1438,3 milliards. Les importations de produits sur le marché avaient explosé de +20,8% en valeur et +27,2% en quantité selon l’Institut National de la Statistique (INS). Le total des importations du Cameroun se chiffraient alors à 3 405,2 milliards FCFA, soit environ ¾ du budget national. Parlant des produits alimentaires, la facture des importations était de 702,3 milliards FCFA soit 20,6 % des dépenses totales d’importations. Le Cameroun importait de 189 pays dont la Chine (18,5 %), la France (8,3 %), le Nigeria (5,6 %) et le Pays-Bas (4,8 %). Avec le COVID-19 dans les pays fournisseurs, le pays subira une baisse des importations et son avenir dépendra de l’ouverture des frontières et de la reprise du travail dans ces pays. Or, il n’est pas sûr que la normalisation des échanges commerciaux se fasse assez rapidement. Le COVID-19 expose aujourd’hui les limites d’une économie extravertie.
Le Cameroun subira ainsi les conséquences des mesures qu’il n’a pas prises depuis le Sommet Mondial de l’Alimentation de 1996. La sécurité alimentaire avait été considérée comme étant l’accès de façon stable en qualité et en quantité suffisante aux aliments. Or, le pays qui se trouvait déjà dans une situation de sous-production structurelle s’était plutôt activé à tolérer l’importation des «aliments non-contrôlés » en vue de soulager la faim des populations. Dès 2006-2007, la Coalition souveraineté alimentaire conduite par l’ACDIC avait présenté 620 000 pétitions signées par les Camerounais pour demander leur souveraineté alimentaire, mais en vain. Dans ce contexte du COVID-19, la question du stock alimentaire risque de se poser d’ici quelques mois. Que faire ?
Quelques propositions de réformes
Le Cameroun pourrait saisir l’occasion du COVID-19 comme une opportunité pour opérer définitivement le choix de prioriser la production nationale. Pendant les émeutes de la faim en février 2008, le pays avait plutôt opté pour la facilitation des importations des produits de premières nécessités dont le riz. Or, cela avait plutôt contribué à alimenter la concurrence déloyale et la contrebande vers les pays voisins comme le Nigéria où le marché était plus juteux. 10 ans plus tard, le Programme Alimentaire Mondial (PAM), dans son rapport de mai 2018, indiquait que dans un bassin de production du riz comme le septentrion, 36,7% de la population globale était confrontée à l’insécurité alimentaire, ce qui montre que cette mesure gouvernementale n’avait pas été efficace. Il faut en tirer des leçons.
La première mesure à prendre au niveau gouvernemental est de réformer l’appareil de production des politiques publiques au Cameroun pour le rendre conforme aux résultats de recherche et aux recommandations des experts. Par exemple, un expert comme Jeffrey Sachs, Directeur d’Earth Institute de l’université Columbia à New York, disait qu’un modèle de développement généré par l’agriculture permettrait à l’Afrique de venir à bout de l’insécurité alimentaire et des périodes de grande famine. Or à ce jour, il existe un décalage béant entre l’expertise et les politiques agricoles mises en œuvre. Le lancement d’une campagne de production dépend encore largement de l’agenda politique qui est en décalage avec le calendrier agricole. Par exemple, les semailles se font entre le 15 mars et le 15 avril dans la partie forestière du pays et nous finalisons cet article ce 16 avril 2020 en plein confinement sans qu’une campagne agricole ne soit lancée au Cameroun. Un expert comme Bernard Njonga recommande que l’Etat réquisitionne en faveur de cette période d’exception qui offre des pouvoirs d’exception tous les tracteurs et les agronomes du pays afin de les mettre au travail. Cela permettrait de booster de façon exceptionnelle les productions.
Sur le plan conjoncturel, il faut privilégier l’approche participative et endogène. Le système statistique national étant défaillant, il faudrait rapidement organiser des concertations et autres consultations avec les acteurs locaux de la production pour évaluer le stock alimentaire existant dans le pays en ce moment. La première raison est qu’il ne faut pas aggraver la situation économique déjà morose. Le gouvernement ne doit prendre aucune mesure qui défavorise ceux qui créent la richesse au Cameroun. Par conséquent, il ne faudrait pas rouvrir de façon fatale les vannes de l’importation sans s’assurer que le stock local disponible est épuisé. Par exemple, la SEMRY est déficitaire depuis 2014 avec près de 160 000 tonnes de riz stockées à Yagoua pendant que le gouvernement autorise l’importation de près de 500 000 tonnes de riz pour lui faire concurrence. Cette option est économiquement intenable. C’est pour cela qu’il ne faut importer que la quantité suffisante pour compléter le déficit constaté sur le marché. La deuxième raison est qu’au Cameroun, il existe 40% de pertes post-récoltes (produits alimentaires qui périssent avant d’arriver au marché). En temps de crise alimentaire, il faut éviter les gâchis. La troisième raison est qu’il faut opérer des choix stratégiques sur la base des chiffres réels. Par exemple, le Cameroun dépense chaque année 174 milliards de FCFA pour importer le blé qui permet de fabriquer les farines panifiables. 100% de la farine panifiable au Cameroun est importé. Or, les Camerounais mangent 11 millions de pain chaque matin selon le Syndicat patronal des boulangers. Si le blé n’arrive plus suffisamment à cause de la persistance du COVID-19, alors cela accentuera l’insécurité alimentaire au Cameroun. Une meilleure connaissance du stock disponible pourrait permettre de prendre la décision d’imposer l’incorporation des farines locales dans le pain. Cela permettre de trouver un débouché aux produits locaux (tubercules, céréales) occupant l’essentiel de nos populations rurales.
Quid de la subvention ? Dans l’imaginaire populaire, il est très répandu qu’il faut octroyer des subventions aux agriculteurs pour booster la production. Pourquoi pas ? Mais, une évaluation s’impose. Par le passé, l’on a subventionné l’agriculture sous plusieurs formes, mais toujours sans résultats concrets. Dans les faits, l’agriculteur n’est pas le principal bénéficiaire des subventions comme l’ACDIC l’avait montré en mettant à nu un réseau de détournement des subventions dans la filière maïs à l’aide des GICs fictifs. Par conséquent, l’agriculture camerounaise n’est toujours pas compétitive. Au lieu de subventionner, il faudrait primer les meilleurs producteurs afin qu’ils doublent leurs productions. Cela veut dire que dès maintenant, au lieu d’envisager un plan d’importation, l’Etat devrait sélectionner les meilleurs producteurs des produits de premières nécessités et les primer afin qu’ils produisent plus. Une telle mesure aurait une externalité positive. Elle permettrait d’encourager la production locale des richesses et donc, de donner une bouffée d’oxygène à l’économie nationale. Elle permettrait de sauver ou de créer des emplois, ce qui permettrait d’éviter de sombrer dans une nouvelle crise sociale. Cela passe par la prise d’un certain nombre de mesures incitatives dont la baisse des impôts et de la pression fiscale.
Sur le plan structurel, il faut sortir du déterminisme et anticiper. Un manque d’investissement dans l’innovation pourra conduire à l’accentuation de la crise. Par exemple, il existe des solutions technologiques pour gérer la météo comme l’imagerie satellitaire qui reste encore méconnue au Cameroun au moment où le changement climatique devient une réalité incontournable. Il y a aussi le système d’assurances-récolte qui a fait ses preuves en Inde où en juillet 2017, après une sécheresse, 203 000 petits riziculteurs-trices de l’État du Tamil Nadu, avaient perçu des indemnités allouées dans le cadre du programme national d’assurance-récolte.
Sur le plan de la gouvernance, l’Etat a tendance à se substituer aux acteurs privés. Or, sa vocation est de réguler et non de produire. L’Etat s’est révélé comme étant un mauvais producteur. Il doit dès à présent créer les conditions pour que les agriculteurs produisent. Cela commencerait par l’externalisation de la production des semences améliorées. Selon le rapport 2017 du MINADER, le bilan de la distribution céréalière était de 4031 tonnes pour un besoin évalué à 911059 tonnes, ce qui était insolite. L’Etat ne peut plus être à la fois le producteur et le client d’une part, et en même temps l’ordonnateur, le contrôleur et l’exécuteur d’autre part. Pire, il y a trop de chevauchements entre les ministères. Par exemple, au moins 10 ministères doivent se mettre d’accord pour implémenter une nouvelle réforme (Agriculture, élevage, commerce, finances, économie, PME, industrie, recherche, foncier, environnement, forêt, etc.). Il faut non seulement regrouper ces ministères mais, transférer à la fois les compétences et les ressources aux maires pour réaliser ou coordonner la réalisation des projets sur le terrain. L’Etat a la fâcheuse tendance à vouloir importer le développement en milieu rural à travers les investisseurs de luxe. C’est le cas du projet Agropole. Or, ces investisseurs importés ne sont pas en milieu rural dans leur environnement de prédilection et finissent toujours par déserter. A chacun son métier ! Au final, l’Etat se retrouve dans un cercle vicieux de recherche perpétuelle de nouveaux investisseurs pour le monde rural. Par exemple dès 2017, il était très difficile de retrouver les traces des bénéficiaires du Projet d’Amélioration de la Compétitivité Agricole (PACA) clôturé tout juste en 2015. Dans la filière riz concernée, 97,06% de la demande demeuraient importés. L’Etat doit plutôt travailler à transformer les exploitations familiales déjà existantes en milieu rural en entreprises agricoles ou agroalimentaires modernes.
Réfléchissant sur la situation alimentaire du Cameroun dans le contexte du COVID-19, nous sommes arrivés au résultat selon lequel elle est très précaire et risque de déboucher sur une nouvelle crise sociale si un certain nombre de mesures conjoncturelles et/ou structurelles ne sont pas prises.
Louis-Marie KAKDEU is the Formal Director – Nkafu Fellows and a Policy Fellow in Economics affairs at the Nkafu Policy Institute of the Denis and Lenora Foretia Foundation. He is a lecturer inIvory Coast Cameroon, Senegal and Romania. He mainly teaches business intelligence, public policies management and evaluation, intercultural management and communication, development-related messages diffusion.
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