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By Dr. Jean Cédric Kouam & Dr. Fabien Sundjo  (Download The Pdf Version)

Introduction

 Depuis plusieurs mois, le monde entier fait face à une crise sanitaire majeure due à la propagation du Covid-19. La virulence de cette menace a plongé l’ensemble des pays de la planète dans une crise économique sans précédent, d’où la nécessité de définir des stratégies pour un développement durable post Covid-19. Au centre des réflexions des pouvoirs publics, se trouve la relance de l’activité économique frappée de plein fouet par les mesures de confinement mises en place pour limiter les contaminations des populations. Les pays de la planète étant hétérogènes en termes de croissance, démographie, inégalités sociales, industrialisation, etc, les défis économiques sont différents selon les pays. Par exemple, la plupart des pays industrialisés connaissent d’ores et déjà une transition démographique pouvant être salutaire à une relance rapide de leurs économies. Pour les pays en développement notamment ceux d’Afrique Subsaharienne (AfSS), ils demeurent confrontés à des taux de natalité et de mortalité encore élevés couplés à une croissance économique morose et un taux de chômage élevé de la population en âge de travailler.

D’après les statistiques 2018 de la Banque mondiale, la population de l’AfSS à elle seule aurait été multipliée par près de 5 par rapport à son niveau de 1960 contre 2,7 pour l’ensemble de l’Asie et 3 pour l’Amérique latine. Avec un taux annuel de croissance démographique de 2,7, cette population représente actuellement 14 de la population mondiale contre 7 en 1960. Par ailleurs, entre 1960 et 2018 le PIB de l’ensemble des pays d’AfSS a été multiplié par 7 alors que le revenu par tête n’a augmenté que de 50. Le PIB par tête en Amérique latine quant à lui a été multiplié par 2,6 ; par 5,7 en Asie du Sud et par 22 en Asie de l’Est.

Si avant la propagation de la Covid-19, les prévisions de croissance étaient moins satisfaisantes pour la plupart de ces pays situés au Sud du Sahara, elles apparaissent désormais très inquiétantes en raison notamment du chômage très élevé qui concerne actuellement les grandes cohortes en âge de travailler (Banque Africaine de Développement, 2018). Parmi les solutions durables à ce problème majeur, l’accélération du processus de transition démographique pourrait être l’une des voies salutaires.

La nécessité d’accélérer la transition démographique en Afrique subsaharienne après la Covid-19.

 La transition démographique est le processus par lequel une population passe d’un régime démographique à taux de mortalité et natalité élevés à un régime de faibles natalité et mortalité. Au cours des années 90, grâce à la mise en place des politiques de vulgarisation de la contraception (planification des naissances dans le cadre du mariage & limitation des naissances hors mariage), les pays d’Asie de l’Est très pauvres autrefois, ont observé un décollage économique historique. En ce qui concerne les pays d’AfSS, la réduction de la fécondité demeure très lente dans certains pays et, en perte de vitesse dans d’autres. Les taux de mortalité quant à eux connaissent une diminution appréciable. Les graphiques ci-dessous comparent l’évolution des taux de mortalité (graphique 1) et de fécondité (graphique 2) de l’Afrique Subsaharienne à celles des autres régions du monde entre 1960 et 2018.

Graphique 1 : Taux de mortalité brut (pour 1 000 personnes)

Graphique 1 : Taux de mortalité brut (pour 1 000 personnes)

Source : Auteurs, WDI (2018). En abscisse les taux de mortalité pour 1000 personnes, en ordonnée, les années.

Graphique 2 : Taux de fertilité, total (naissances par femme)

Graphique 2 : Taux de fertilité, total (naissances par femme)

Source : Auteurs, WDI (2018). En abscisse les taux de fertilité pour 1000 personnes et, en ordonnée les années.

Ces données extraites de la base de données de la Banque mondiale montrent à suffisance que l’Afrique Subsaharienne devrait poursuivre avec de profondes mutations au niveau de sa fécondité. Les conséquences directes de ce phénomène se traduisent par une diminution de la population à charge et/ou en âge de travailler et, un accroissement des opportunités de travail pour tous. Ces deux facteurs sont nécessaires pour favoriser le dividende démographique dans cette région du monde.

 

Les bénéfices potentiels du dividende démographique en Afrique Subsaharienne

Le dividende démographique renvoie au phénomène de hausse de la productivité globale consécutive à l’accroissement du ratio de la population active par rapport au nombre de personnes en âge de travailler et qui ne travaille pas. Si à nos jours les pays d’AfSS n’en ont pas bénéficié comme la plupart des régions du monde, tout porte à croire qu’ils le peuvent après la crise sanitaire actuelle à condition de mettre en place des politiques sociales et économiques appropriées.

Tout d’abord, une transition démographique réussie en AfSS favoriserait la création d’emplois décents, les économies étant actuellement fortement dominées par le secteur informel (qui représente en 2017 entre 20 et 65  du PIB des pays selon le Fonds Monétaire International). Cette création d’emplois décents sera rendue possible grâce à une participation plus importante des cohortes à charge et en âge de travailler sur le marché du travail. Le processus de transition démographique étant ainsi enclenché, la croissance économique est stimulée par l’accroissement de la productivité du travail.

Par ailleurs, en raison de sa faible inclusion financière (taux de bancarisation estimé à 10 en 2017 contre 43.5 pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 65  en Europe et Asie Centrale), l’AfSS présente peu de signes d’une épargne compatible avec le cycle de vie. Une transition démographique réussie pourra améliorer l’accès d’un effectif bien plus important de la population aux différents services financiers. Au plan macroéconomique, les hausses des taux d’épargne qui en résulte se traduiront par des investissements publics importants et, une croissance économique durable. Au niveau microéconomique, cela aboutirait à une auto-assurance plus élevée des ménages et de protection du revenu. Les nouvelles cohortes de travailleurs ayant moins d’enfants et une vie plus longue que les cohortes âgées, cela implique que les dépenses en termes d’éducation et de santé sont réduites et, la différence est reportée en épargne financière pour la période d’inactivité c’est-à-dire la vieillesse.

Bien plus, en raison de la Covid-19, le secteur digital sera à l’avenir extrêmement sollicité. Dans la plupart des entreprises, on adoptera le télétravail, ce qui rendra très important le volume du trafic des télécommunications. Toutefois, le nombre d’individus ayant accès à internet connait depuis plus d’une décennie, une forte croissance en AfSS (Voir graphique 3). Grâce au numérique donc, qui représente aujourd’hui 15,5 du PIB global de la région, une transition démographique réussie permettra aux nouvelles cohortes de travailleurs de bénéficier d’une diversification accrue en matière d’offre de services afin de contribuer aux chaînes de valeurs mondiales.

Graphique 3 : Evolution du nombre d’individus utilisant internet en AfSS (en  de la population) entre 1996 et 2017

Graphique 3 : Evolution du nombre d’individus utilisant internet en AfSS (en  de la population) entre 1996 et 2017

Source : Auteurs, WDI (2018).

 Conclusion

La population de l’AfSS est celle qui croît le plus au monde ; la proportion des naissances hors mariage et dans le cadre du mariage étant la plus élevée. Une conséquence liée à cet accroissement de la population est la multiplication des cohortes en âge de travailler. Sans le renforcement de certaines mesures sociales et économiques (création des hôpitaux, vulgarisation de la vaccination, accès à la santé maternelle et infantile, planification familiale, promotion de la contraception, éducation des jeunes filles, opportunités pour les femmes sur le marché du travail), il sera difficile de sortir de la vulnérabilité. La baisse progressive de la fécondité et de la mortalité est nécessaire afin d’offrir suffisamment d’emplois décents et productifs aux cohortes à charge, lesquels garantiraient grâce à l’expansion du numérique, une croissance économique forte. La productivité du travail contribuera à son tour à améliorer l’inclusion financière.

Jean Cedric Kouam is the Deputy Director-Economics Affairs Division and the Head of Fiscal and Monetary Policy Sub-section at the Nkafu policy Institute. He holds a doctorate in economic policy and analysis (monetary and financial macroeconomics) from the University of Dschang in Cameroon.