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Les deux régions d’expression anglaise du Cameroun sont peuplées par près de 4 millions de personnes, représentant approximativement 20% de la population totale du pays [1]. Ces deux régions ont été le théâtre de troubles violents et meurtriers qui ont débuté en 2016, après qu’une grève des avocats et des enseignants – qui protestaient contre les efforts du gouvernement visant à imposer la langue française dans les secteurs de la justice et de l’éducation – a été violemment réprimée. Les manifestants n’ont fait que s’enflammer et une violente répression par les forces de sécurité a entraîné un cycle vicieux avec d’innombrables pertes en vies humaines chez toutes les parties au conflit [2]. Le conflit s’est rapidement transformé en opposition armée avec, d’’un côté, les groupes séparatistes qui réclamaient une république d’Ambazonie indépendante, et de l’autre, les forces de défense camerounaises qui ont déployé des éléments militaires et unités d’élites pour réprimer les séparatistes [3]. La réponse du gouvernement – opération anti-insurrectionnelle – n’a pas été sans revers, car il a été accusé d’avoir procédé à des exécutions extrajudiciaires, fait un usage excessif de la force, maltraité et torturé des séparatistes présumés ainsi que d’autres détenus, et d’avoir incendié des maisons et des biens [2]. Dans certains villages, jusqu’à 80% de la population aurait cherché refuge dans la forêt et d’autres cachettes, où elle n’a pas ou peu accès à un abri sûr, à l’eau ou à des installations sanitaires. Les séparatistes ont ordonné la fermeture des écoles, tandis que d’autres étaient réduites en cendres, et des enseignants attaqués et mutilés. Par crainte de représailles, de nombreuses écoles restent fermées jusqu’à présent. Selon l’UNICEF, 9 enfants sur 10 n’ont pas été scolarisés depuis trois ans et entre 23% et 65% des hôpitaux ne fonctionnent pas dans ces régions [4].

SITUATION DE LA COVID-19 DANS LE NORD-OUEST ET LE SUD-OUEST

Au 26 août 2020, le Cameroun avait déclaré un nombre total de 19 142 cas COVID-19, dont 17 651 rétablis (taux de guérison de 92,2%) et 411 décédés (taux de mortalité de 2,1%) [5].

Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, touchées par le conflit, ont enregistré un total de 1 531 cas (795 dans le Nord-Ouest et 736 dans le Sud-Ouest) de COVID-19 au 26 août 2020. Sur les 795 cas enregistrés à cette date dans la région du Nord-Ouest, 644 se sont rétablis, soit un taux de rétablissement de 81%. De même, dans la région du Sud-Ouest a enregistré 635 rétablissements sur les 736 cas enregistrés, soit un taux de guérison 86,3%. Les points-clés à souligner ici sont d’une part, les 80% des cas COVID-19 qui se seraient rétablis de la maladie sans avoir eu besoin de traitement spécial [6] et d’autre part, les taux de guérison enregistrés dans ces deux régions, inférieurs à la moyenne nationale qui est de 92,2%. Les taux de guérison les plus faibles du pays sont enregistrés dans les régions de l’Est (79,5%), de l’Adamaoua (54,6%) et de l’Extrême-Nord (41,6%).

En outre, ces régions (Nord-Ouest et du Sud-Ouest) avaient, à la date susmentionnée, déclaré respectivement 36 et 32 décès liés à la COVID-19, avec des taux de mortalité infantile de respectivement 4,5% et 4,3%, tous deux supérieurs au taux de mortalité infantile global (3,1% au 31 août 2020), et deux fois plus élevés que le taux de mortalité infantile national (2,1 %). Les taux de létalité (TL) les plus élevés sont observés dans les régions du Nord (9,3%) et de l’Ouest (5,2%) du pays.

Par ailleurs, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest comptent parmi les régions où le nombre de travailleurs de santé ayant été infectés par la COVID-19 est le plus élevé. En effet, sur les 812 agents de santé infectés au Cameroun (au 26 août 2020), 204 (25%) sont originaires du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Selon le rapport de situation COVID-19 n°45 du Cameroun, sur les 20 décès liés à la COVID-19 enregistrés au 26 août 2020 dans l’ensemble du pays, 0 (0%) dans le Sud-Ouest et 5 (25%) dans le Nord-Ouest ont été enregistrés.

Un regard sur le taux d’infection à la COVID-19 par région place le Nord-Ouest (34 cas pour 100 000 habitants) et le Sud-Ouest (40 cas pour 100 000 habitants) en 6è et 7è position sur les 10 régions du pays. En utilisant le seuil de référence de 50 cas pour 100 000 habitants, fixé par le gouvernement allemand comme seuil critique pour une éventuelle réintroduction des restrictions COVID-19 [8], on constate que ces régions ont un taux d’infection cumulé inférieur à la valeur de référence. Le Centre, le Littoral, l’Est, le Sud et l’Ouest sont les régions dont le taux d’infection est supérieur à la valeur de référence de 50 cas pour 100 000 habitants. Le nombre élevé de personnes déplacées du Nord-Ouest et du Sud-Ouest vers le Centre et le Littoral est révélateur des taux d’infection élevés observés dans ces régions de destination / d’accueil.

Tableau 1 : Stratification par région de certains indicateurs clés de la COVID-19 au Cameroun.

Région Estim. de la pop. Total des cas (n) Décès (n) TL* (%) Guéris (n) Taux de Guérison (%) PS** Infecté (n) Décès PS (n) Taux d’infection (cas pour 100 000 habitants)
Centre 4 978 292 9 657 109 1.1 9 347 96,8 98 7 194
Littoral 4 015 427 4 399 101 2.3 4 211 95,7 215 5 110
Ouest 2 299 864 1 171 60 5.1 1 046 89,3 134 3 51
Est 1 000 087 1 062 27 2.5 844 79,5 52 0 106
Nord-Ouest 2 356 116 795 36 4.5 644 81,0 119 5 34
Sud-Ouest 1 859 065 736 32 4.3 635 86,3 85 0 40
Sud 897 158 612 14 2.3 533 87,1 65 0 68
Extrême-Nord 4 779 017 310 8 2.6 129 41,6 9 0 6
Adamaoua 1 437 415 260 11 4.2 142 54,6 12 0 18
Nord 2 923 422 140 13 9.3 120 85,7 23 0 5
Total 26 545 863 19 142 411 2.1 17 651 92,2 812 20 72

*TL : taux de létalité ; **PS : personnel de santé. Sources : Cameroon: COVID-19 Rapport de situation n°45, 20 au 26 août 2020.


SIMILITUDES ET DIFFÉRENCES ENTRE LA PANDÉMIE DE COVID-19 ET LA CRISE ANGLOPHONE

Les personnes résidant dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest sont tiraillés entre l’insécurité et la propagation rapide du nouveau coronavirus. Les fréquentes fusillades, les lockdowns, les barrages routiers et maintenant la pandémie de COVID-19 ont rendu la vie difficile à la majorité des habitants de ces régions. La différence majeure entre la pandémie COVID-19 et la crise anglophone est que l’une est une crise naturelle ou sanitaire et l’autre une crise humanitaire. Toutefois, les deux crises ont des points communs : les lockdowns qui limitent les mouvements de population, la peur de l’inconnu (devenir la cible ou la victime de fusillades et le risque d’infection par le coronavirus), l’augmentation du nombre de décès et l’intensification de la collaboration entre le gouvernement et la population pour freiner la propagation ou l’escalade. En outre, les forces de sécurité ont eu un rôle majeur à jouer dans les deux crises où, d’une part, elles imposent le port du masque et des mesures de restriction dans le contexte de la pandémie et, d’autre part, elles sont déployées pour sécuriser les structures publiques et privées, protéger les civils et neutraliser les rebelles. Bien que des allégations d’excès dans l’exercice de leurs fonctions aient été rapportées dans les deux situations de crise, leur présence sur le terrain a sans aucun doute contribué à préserver d’innombrables vies.

IMPACT DE LA CRISE ANGLOPHONE ET DE LA COVID-19 DANS LE NORD-OUEST ET LE SUD-OUEST

  • Réduction des activités médicales et de l’aide humanitaire: Tant pour le gouvernement du Cameroun que pour les partenaires (ONG et autres organisations), la double crise humanitaire et sanitaire nécessitera une adaptation de leurs activités. Les mesures restrictives imposées conséquemment entraîneront des difficultés dans l’acheminement des fournitures médicales vers les zones où elles sont les plus nécessaires, ainsi que des restrictions d’accès pour les projets humanitaires. Par ailleurs, les ressources humaines sont limitées, car certains travailleurs de la santé ont été victimes d’attaques et ont dû fuir pour sauver leur vie. Dans certaines zones, les installations sanitaires ont été incendiées.
  • La faim et la frustration: Selon une enquête récente menée par l’Institut national de la statistique (INS) au Cameroun, la pandémie du nouveau coronavirus a eu non seulement des effets perceptibles sur le mode de vie de la population, mais aussi des répercussions négatives sur son niveau de vie. Selon l’Institut, la pandémie a provoqué un ralentissement des activités (clients/productions) affectant jusqu’à 74% de la population. Soixante-cinq (65%) des enquêtées indiquent qu’à la suite de cette baisse d’activité, leur salaire/revenu a diminué. En outre, l’INS affirme que la pandémie a entraîné une détérioration du niveau de vie de 60% des personnes. Cette détérioration est plus prononcée chez les très pauvres (79%), dans le Nord-Ouest (78%), le Sud-Ouest (77%) et à Douala (72%) [10].
  • Perturbation des activités de soins de routine: Il n’est pas nécessaire d’être un génie pour constater qu’avec les blocages imposés par les deux crises, les restrictions à la circulation des personnes, la réduction du pouvoir d’achat des citoyens, les installations sanitaires incendiées et la réduction du personnel de santé ont eu de graves effets négatifs sur le continuum des activités de soins de santé de routine (VIH, maladies non transmissibles, vaccination, malnutrition, etc.) En outre, certains habitants ont eu peur des établissements de santé, qu’ils considèrent comme des foyers d’infection de COVID-19. En outre, l’accent a été mis sur la COVID-19 en termes de ressources (argent, personnel de santé, etc.) et peu d’attention a été accordée aux activités de soins de santé de routine non liées à la COVID-19.

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

  1. Il existe plusieurs similitudes entre la crise humanitaire du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la pandémie COVID-19 en termes d’impact et d’action requise. Nous recommandons que des efforts et des moyens similaires soient alloués pour combattre les deux situations de crise simultanément en prêtant attention à la protection des libertés civiques de base, des droits de l’homme et de la sécurité.
  2. Des efforts mobilisés et une action concertée de tous les acteurs de la société sont nécessaires pour mettre fin à la fois à la crise socio-politique et à la crise sanitaire. La collaboration entre toutes les factions de la société camerounaise doit être encouragée, indépendamment de leurs affiliations politiques, religieuses ou ethniques.
  3. Les deux crises ont considérablement affecté le mode et les conditions de vie des habitants des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Ces deux crises ont eu, à certains égards, un effet démultiplicateur. Le gouvernement devrait jouer un rôle de leader et se concerter avec les experts et la société civile pour élaborer des mesures adaptées au contexte qui permettront aux uns et aux autres de vaquer à leurs occupations quotidiennes de manière à limiter la propagation du nouveau coronavirus. Ainsi, les habitants pourront améliorer leur niveau et leurs conditions de vie et réduire leur dépendance à l’égard de l’aide humanitaire, qui est de plus en plus rare et qui ne peut pas être utilisée par tous.